Les communs : les nouvelles dérives vertes

Passée plutôt inaperçue, les Députées écologistes  Magalie Plovie (Ecolo) et Lotte Stoops (Groen) ont coprésenté il y a quelques jours devant le Parlement bruxellois une note de discussion relative aux communs. Comprenez par « communs » la gestion collective des biens publics ou privés, ressources ou connaissances, partagées en auto-gestion selon des règles définies.

Inspirées par les travaux d’Elinor Ostorm, les députées écologistes ont pour ambition de faire avancer la réflexion sur l’émergence d’un nouveau modèle de gouvernance, une troisième voie entre l’État et le privé, par laquelle le pouvoir décisionnel et organisationnel serait confié à des collectifs citoyens. Dans ce modèle, la délibération publique est présentée comme la condition sine qua none pour pleinement réaliser l’intérêt général. Objectif : augmenter le bonheur national brut.

Une fois passé les références au Moyen-âge qui ont de quoi faire sourire brièvement, cette note cache en réalité sous un vernis de bonnes intentions, un dangereux plaidoyer en faveur d’un nouveau diktat, celui des collectifs ou groupements citoyens sans légitimité démocratique à proprement parler.

La note part d’abord du principe que l’action collective citoyenne est la meilleure manière de répondre aux besoins des citoyens, effaçant l’État dans un rôle secondaire pour sortir de la relation binaire « État-marché ». Sans dénigrer le travail de certains collectifs ou nier la fonction utile et complémentaire que remplissent les associations qui ont développé une expertise complémentaire, basculer le centre de gravité des décisions vers des collectifs soulève plusieurs problèmes de taille en matière de représentativité, de coût ou encore en matière de résultats.

Premièrement, penser que des collectifs citoyens sont plus à mêmes de rencontrer l’intérêt général est un postulat qui en plus d’être réducteur est relativement naïf. En effet, il ignore (volontairement ou pas) le fait que la société civile est elle-même composée de groupes d’influence et de lobbies. Ils représentent donc des points de vue et portent des agendas sans nécessairement faire l’unanimité au sein de la population. Certains sont mêmes proches de partis politiques. Naît alors un déséquilibre entre le citoyen qui accomplit son devoir démocratique aux élections et celui qui s’investit dans un collectif, de manière rémunérée ou pas (ce qui peut d’ailleurs être une source de conflit d’intérêt pour celui qui joue sa survie financière), tout cela en sachant que nous ne sommes pas tous égaux en matière de temps libre. Ainsi une personne retraitée ou inactive aura plus de temps libre qu’une personne qui travaille à temps plein.

Organiser de vraies consultations populaires de l’ensemble des Bruxellois sur des enjeux d’intérêts régionaux, comme nous le proposons, permettrait une participation directe de toutes et tous, en évitant précisément qu’une minorité militante s’impose à une majorité silencieuse. Bien que la Constitution le permette depuis 2014, aucune mesure n’a jamais été prise pour lancer cette dynamique démocratique.

Outre le problème de la représentativité, se pose aussi la question du coût. Dans leur note, les députées écologistes demandent clairement d’étudier la mise en place d’un accompagnement pour les communs : reconnaissance, création d’une structure de soutien notamment un appui juridique ou encore l’attribution de biens publics à des communautés de citoyennes ou citoyens. Soit des dépenses supplémentaires. Si certaines initiatives relevant de la logique des communs méritent d’être encouragées, comme par exemple les communautés d’énergie, certaines coopératives ou le community landtrust, il existe une différence fondamentale entre la liberté d’association, la libre mutualisation, que nous défendons, et la promotion d’un nouvel  « ordre citoyen », qui viendrait encore grossir un secteur associatif pourtant déjà fort développé en Belgique francophone, avec des coûts toujours plus importants pour les deniers publics et sans engagement vis-à-vis des résultats. Pire encore, lorsque l’on passe à la loupe le financement de petites structures actives dans le domaine social, écologique ou encore de la mobilité, l’argent reçu sert souvent en premier lieu à pérenniser l’emploi au sein de la structure avant d’être injecter dans le projet lui-même. Encourager le développement de nouvelles structures citoyennes reconnues et financées par le public aggravera donc encore le saupoudrage d’argent public et la dilution de la responsabilité entre un pouvoir public déforcé, une administration sous-utilisée, malgré ses compétences remarquables, et une armada de structures collectives vivant au rythme des appels à projets. En d’autres termes, on dédouble (pour ne pas dire que l’on triple) encore les structures existantes aux frais du contribuable et d’une classe moyenne active déjà largement sous pression pour faire émerger in abstracto une troisième voie indépendante à la fois des citoyens et du secteur privé, alors qu’elle serait financée par eux, confirmant ainsi une politique assumée et décomplexée que l’on pourrait qualifier sans mal d’argent magique.

Troisièmement, la reconnaissance d’une multitude de groupes citoyens comme troisième pouvoir risque d’aggraver la dichotomie déjà largement entretenue à coups souvent de caricatures entre le public (blâmé pour sa représentation imparfaite) et le privé (blâmé pour sa poursuite du profit) alors que les collectifs citoyens jouiraient eux d’une supériorité morale, puisqu’ils seraient les seuls capables d’œuvrer pleinement en faveur de l’intérêt général. Non seulement ces préjugés ignorent les efforts consentis par le public pour se rapprocher des citoyens en matière de participation citoyenne (nombre déjà important d’initiatives financées, les nouveaux échevinats de la participation citoyenne, etc.) mais aussi du privé pour s’améliorer sur les objectifs ESG relatifs à l’environnement, le social et la gouvernance.

Mais plus inquiétant encore, là s’opère un glissement du champ de la rationalité vers celui de la morale, une tendance de plus en plus dénoncée pour ses dérives, car porter des valeurs ou des causes, aussi nobles soient-elles, ne constitue pas une garantie de résultats en soi. Prenons par exemple, la coopérative bancaire New-B, ses valeurs éthiques et durables n’ont pas empêché sa faillite malgré l’important soutien public dont elle a bénéficié. Les pouvoirs publics doivent donc toujours procéder à une analyse objective des retombées et des résultats avec de faire tourner la planche à billets et ne pas émettre de jugement sur la seule base des valeurs défendues. Un pas idéologique plus loin encore, la déconstruction de la relation public-privé largement caricaturée a de quoi aussi inquiéter. Ne dites plus PPP (partenariats public-privé) mais PCC (partenariats public-communs). S’il convient aujourd’hui de ne pas poursuivre le seul profit financier (au détriment par exemple de l’environnement ou du bien-être social), il y a une différence entre la seule poursuite du profit à n’importe quel prix et l’absence de recherche de plus-value ou une plus-value sociétale tellement petite qu’elle ne serait pas mesurable. Cette inquiétude est d’autant plus fondée qu’elle est déjà palpable aujourd’hui sur fond de morcellement de l’argent public et face aux attentes légitimes de résultats à la hauteur des moyens investis.

En résumé, si la note a le mérite de lancer le débat, elle révèle de multiples dangers qu’un changement de paradigme complet implique. S’il n’a rien d’étonnant à ce que les deux partis Ecolo et Groen à l’initiative de cette note et pour lesquels le tissu associatif constitue une cible électorale importante, poussent cet agenda, nous appelons à la plus grande prudence face aux potentielles dérives idéologiques qui se profilent et espérons que de l’art du partage à la mutualisation forcée en au travers de collectifs sursubsidiés il y ait plus qu’un pas idéologique à franchir. Car nul n’est immunisé face aux dérives du pouvoir, qu’il soit parti politique ou citoyen.

 

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